Les vaccins arrivent, les médecins s'interrogent
Une partie des professionnels de santé ne compte pas se faire vacciner, malgré la stratégie de vaccination générale prévue par la France.
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lundi 14 septembre 2009
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L'affaire, et c'est heureux, vient de faire la Une du «Quotidien du Médecin»: «Donnerez-vous l'exemple?». Alors qu'ils devraient figurer parmi les personnes à immuniser en priorité contre la grippe pandémique, les médecins ne sont pas tous prêts à se faire vacciner, résume le quotidien professionnel. «De quoi susciter des réactions inquiètes (...) Et ce d'autant que, comme le montre une étude publiée dans «Science», il faudrait obtenir un taux de 70% de vaccinés.
Le «Quotidien du Médecin» fait aujourd'hui référence à une initiative de «l'Espace Éthique» de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). En pratique 4.600 «professionnels de santé» (dont une moitié de médecins, hospitaliers et généralistes) viennent de faire part de leur opinion sur la stratégie vaccinale anti-pandémique préconisée par le Haut Conseil de santé publique (HCSP); une stratégie qui devrait être bientôt avalisée par le président de la République puis par le gouvernement; une stratégie controversée qui prévoit la vaccination progressive (sur la base du volontariat) de l'ensemble de la population française.
Doutes
Résumons: 9,6 % des professionnels interrogés «sont sûrs de ne pas se faire vacciner» et 28,6% «ne sont pas sûrs de l'option qu'ils prendront». En clair près d'un tiers du corps médical français doute des armes que l'on va mettre à sa disposition pour qu'il soit protégé avant de monter en première ligne; ou plus précisément alors même qu'il sera en train de monter au front...
Si elle devait être confirmée, une telle réalité serait bien lourde à porter pour les responsables sanitaires; lourd à porter aussi pour le corps médical, comme pour les centaines de milliers de professionnels le servant; un corps médical qui depuis Louis Pasteur ne cesse de vacciner (contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la rougeole, la rubéole, l'hépatite B etc). Certes, ce n'est pas un sondage à proprement parler. Pour autant même si une «clause de prudence» s'impose, l'enquête lancée du 27 juillet au 6 septembre par l'Espace Éthique de l'AP-HP (sous la direction du Dr Marc Guerrier) s'appuie sur un grand nombre de réponses recueillies par le truchement de deux sociétés savantes. En d'autres termes, l'expression du doute (ou du refus) quant à la prochaine vaccination anti-pandémique émane tout particulièrement des membres de la Société française des anesthésistes-réanimateurs (SFAR) et de la Société des réanimateurs de langue française (SRLF) ainsi que du réseau médical de surveillance grippe Sentinelles de l'Inserm; soit des médecins professionnellement et personnellement parmi les premiers concernés.
Pour le Dr Guerrier, une question devrait, en toute logique «fournir du grain à moudre à nos décideurs de santé»: «En automne-hiver 2009, pensez-vous que vous souhaiterez être vacciné contre le virus A(H1N1)? » Les deux tiers des médecins répondent que c'est leur intention. Mais 30 % disent qu'ils n'en sont pas sûrs. Mieux (ou pire), 10,3% des hospitaliers SFAR-SRLF annoncent qu'ils sont sûrs de ne pas se faire vacciner. Une proportion qui descend à 2,1% des déclarants au titre du réseau Sentinelles, il est vrai très concernés par le sujet.»
Au sein du corps médical, le débat ne fait que commencer, qui renvoie aux comportements plus ou moins préventifs des professionnels lors des derniers épisodes d'épidémies grippales saisonnières. «Seulement 40% des répondants se sont fait vacciner au cours des trois dernières saisons grippales et 1/3 aucune fois. Les médecins qui se sont fait systématiquement vacciner contre la grippe saisonnière sont globalement les mêmes qui déclarent être certains de vouloir se faire vacciner contre le virus A(H1N1), précise le Dr Guerrier. Autrement dit, les soignants ne sont généralement pas, et de longue date, les bons élèves de la vaccination.» Nous aimerions tous savoir pourquoi; mais cette enquête (secret médical ou pas) ne nous en dit pas plus sur ce thème.
Dangers potentiels
D'autres «professionnels de santé» n'ont pas de telles pudeurs. Ainsi l'affaire vient-elle de prendre une toute autre ampleur avec les déclarations des responsables du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI, affilié à la CFE-CGC). Ils viennent ainsi d'expliquer qu'une vaccination massive de la population contre la grippe due au A(H1N1) présentait des risques, en raison de certains composants du vaccin et de tests jugés pas assez nombreux. «Injecter 94 millions de doses d'un produit sur lequel nous n'avons aucun recul peut poser un problème de santé publique; et il est de notre devoir d'infirmières d'informer correctement la population, estime le secrétaire général du SNPI. Nous craignons une répétition des complications rencontrées aux Etats-Unis en 1976 avec le vaccin contre la grippe porcine [qui aurait augmenté les risques de survenue de certaines maladies neurologiques comme le syndrome de Guillain-Barré].»
Ce responsable souligne aussi la présence dans l'un des vaccins commandés d'un «amplificateur d'effet» qui «n'a jamais été utilisé auparavant dans un vaccin commercialisé à large échelle». Il pourrait «déclencher des réactions immunitaires excessives» dangereuses pour des personnes atteintes de certaines pathologies, a estimé le syndicat, jugeant qu'une vaccination massive était «une expérimentation grandeur nature». «La stimulation du système immunitaire par trois doses de vaccin antigrippal en quelques semaines est une nouveauté», a aussi relevé le SNPI, expliquant que les deux doses du vaccin A(H1N1) par personne s'ajouteraient à celle prévue contre la grippe saisonnière à compter de septembre.
Enfin, hasard ou pas, cette étonnante problématique française émerge au un moment précis où de nombreux experts rapportent, dans The New England Journal of Medicine (la plus prestigieuse revue médicale au monde), que les premiers vaccins commencent enfin à faire la preuve de leur efficacité potentielle (sinon de leur innocuité définitive) face à la première menace pandémique du troisième millénaire. Qui l'emportera?
Jean-Yves Nau